lundi 28 novembre 2011

Terminé... ou pas ?

Bientôt un mois que le montage est terminé. Le film fonctionne, mais il me laisse une impression un peu étrange. La première moitié est un poil linéaire. Ça ne décolle pas assez à mon goût. Il m'a fallu beaucoup de temps pour analyser ce problème et commencer à entrevoir des solutions possibles. Je vois deux causes :
- On ne s'intéresse pas suffisamment à l'état psychologique du personnage principal. Il est amnésique, OK. Mais que ressent-il ? En l'état, on a l'impression que ça l'emmerde un peu, mais pas plus que ça. Or plus j'y réfléchis, plus je me dis que l'amnésie doit être l'une des pires choses qui puissent vous arriver. Le trou noir. Le reset from scratch. Le zapping ultime.
"Qui suis-je ?"
"Où vais-je ?"
"Qu'est ce que c'est que cette gueule qui est la mienne ?"
etc...

A l'écriture, nous ne nous sommes pas assez intéressé à l'état psychologique du personnage principal, et ça se ressent un peu aujourd'hui. Je ne jette la pierre à personne (si ce n'est à moi-même), le chantier d'écriture était assez imposant, vu qu'entre la première et la dernière version du scénario, il y a eu énormément de changements, de problèmes de cohérences à résoudre (nous sommes passés d'une structure non chronologique à une structure chronologique avec tous les problèmes que ça sous entend), des personnages ont disparu, d'autres ont fait leur apparition, bref ce fut, et pendant de longs mois, un joyeux foutoir.

Lesson learned.

Ce que j'ai appris ici, c'est qu'à CHAQUE scène, le réalisateur DOIT se demander "que raconte cette scène ?". "Quel est l'état psychologique des personnages ?". On doit se forcer à répondre à ces questions, et pas se contenter de se dire "je sais", en sous-entendant qu'on verrait ça sur le tournage. Il faut tout décortiquer.

Ensuite, le montage de cette première partie, s'il est techniquement irréprochable (Audrey "Magic Simone" Simonaud a fait son office), est assez linéaire. C'est en réfléchissant à ça que j'ai commencé à envisager une légère déstructuration du montage dans la première moitié du film. D'un côté, ça témoignerait de la confusion psychologique du personnage principal (le film est abordé de son point de vue), et d'un autre côté, ça apporterait un peu de "pep's" à l'ensemble, en brisant cette linéarité un tantinet lénifiante.



J'ai eu la révélation en visionnant, il y a deux semaines, le très intéressant "L'anglais" ("The Limey") de Steven Soderbergh. Element plutôt méco,nnu de sa filmographie, "L'anglais" raconte l'histoire d'un ancien repris de justice britannique (formidable Terence Stamp) qui débarque à Los Angeles pour enquêter sur la mort suspecte de sa fille unique. Il pose des questions, fait le coup de poing à l'occasion et sort le flingue lorsque ça barde. D'un point de vue narration/chronologie, ce film aurait pu être parfaitement soporifique. Stamp pose des questions, obtient des réponses, va voir des types, remonte la filière jusqu'à trouver le responsable. Soderbergh s'en est aperçu. Aussi, il a décidé (je ne sais si ça s'est passé en pré prod (coup de génie) ou en post prod (génie tardif), de COMPLETEMENT déstructurer son film. Les temporalités sont mélangées, au point de créer des effets stylistiques assez (trop ?) appuyés avec par exemple, un dialogue entamé sur le perron d'une maison et poursuivi, dans la même phrase, au volant d'une voiture, avant de revenir à la maison la phrase suivante. L'effet obtenu est très étrange, très mystérieux, et ne manque pas de saisir l'attention du spectateur. C'est réellement très intéressant, et illustre bien comment le montage peut sublimer/modifier la structure narrative d'un récit et la façon dont cette narration est perçue par le spectateur.
Un exemple plus connu est "21 grammes", où le cerveau du spectateur reconstruit le puzzle dont le monteur s'est amusé à éparpiller les pièces.
Je discutais récemment avec mon ami réalisateur Nicolas Christian Messi, et il m'a appris que le respecté Fernando Meirelles ("La Cité de Dieu"), a fait un constat similaire après le premier montage de "The Constant Gardener". Le film était monté de manière chronologique, et tout le monde (où du moins le réalisateur et sa monteuse) trouvait ça chiant. Ils ont alors entrepris de déconstruire le film avec le résultat que l'on connaît. Une idée brillante, dans le sens où son exécution réhausse réellement la qualité générale du film.

En conclusion, l'enjeu est de dynamiser, sans créer d'artifice. Il faut que ce soit stimulant pour le spectateur, sans jamais devenir factice.
Nous allons donc shooter quelques plans additionnels (rien de très lourd), et relancer la moulinette du montage pendant les quelques disponibilités d'Audrey, actuellement très occuppée sur le montage de "Taken 2". Ce n'est pas évident de remobiliser les gens (les agendas sont chargés) et de faire fi des conseils qui vont à l'encontre de ces intentions (typiquement : "le mieux est l'ennemi du bien"), mais je garde la cap.
Côté planning, l'objectif est de projeter le film au mois de janvier, c'est à dire dans pas très longtemps.

A très bientôt

3 commentaires:

  1. Laurent: Oui alors la je suis assez d'accord avec ce point de vue. C'est ce que j'ai fait des le départ avec le scenario de mon premier court. Le problème c'est qu'ayant travaillé sur ce "procédé", je t'avoue que déconstruire des la phase d’écriture est réellement bénéfique par ce qu'il y a plein de problème que soulève un tel procédé. En même temps je me suis éclaté a reconstituer "mulholland drive" qui n'aurait sans doute eu pas trop d’intérêt sans ce "procédé" , pareillement "pulp fiction" a aussi vraiment bénéficié de cet artifice.

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  2. La Spatule me souffle que déconstruit oui, mais décousu non.
    Parce que si le spectateur est déconfit ça sera la débandade...

    Mais bon Le Grand Chambellan ne se soucie pas trop pour ça, magic Simone elle est bonne!
    Ses ciseaux sauront sectionner ce qu'il faut quand il se doit!

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  3. En bon exemple de montage qui sublime un film, y'a Mememto avec les deux narrations (chronologique en noir et blanc et inversée en couleur) d'ailleurs sur le DVD y'a une version "tout dans le bon sens" à voir quand on a vu la version précédente vu que c'est quand même un peu le bordel pour suivre l'intrigue à la fin et comprendre que c'est le colonel moutarde dans la bibliothèque avec le chandelier !

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